Savoir si l’on est droitier ou gaucher semble souvent complètement naturel. Pourtant, certains enfants peuvent se tromper de latéralité. Au quotidien, les problèmes liés à ce trouble sont nombreux. Explications autour de l’enjeu de la latéralisation.
Valérie Gautier fait le point dans L’Express:
« Mes parents m’ont confié qu’ils avaient toujours pensé que je serai gauchère. Pourtant, 27 ans plus tard, je suis droitière et victime d’une série de problèmes liés à ma mauvaise latéralité » , lance Harmonie.
« Mon sens de l’orientation est désastreux, mon équilibre aussi. Je tiens très mal mon stylo, mon écriture est vilaine, je ne peux descendre les escaliers sans tenir la rampe et petite on se moquait de moi car je n’arrivais pas à rattraper un ballon », souligne la jeune femme de 28 ans en reprise d’études.
De multiples facteurs
A elle seule, Harmonie cumule un large éventail des problèmes liés à la latéralité, c’est-à-dire au « mauvais choix » de sa main dominante. Cette dernière concerne aussi l’œil et le pied, même si le côté préféré n’est pas nécessairement le même pour les trois. On peut également avoir une main droite dominante et un œil gauche dominant sans que cela ne pose de problème.
Pour Emmanuelle Renaud Thomas, psychomotricienne à Nantes, le terme de « trouble de la latéralité » reste à utiliser avec parcimonie car « ils sont en général liés à une autre pathologie. Il s’agit souvent d’un symptôme découlant de facteurs génétiques, neurologiques, environnementaux ou psychologiques. Un enfant qui peine à trouver sa place dans sa famille peut avoir du mal à faire un choix de latéralité. Par mimétisme, il peut aussi choisir la même latéralité que l’un de ses parents, même si ce n’est pas la bonne pour lui. Ces exemples ne sont qu’une minorité parmi des cas multiples. »
Se repérer dans l’espace
Le processus de latéralisation permet de déterminer quelle est la main dominante de l’enfant. Elle va ensuite jouer un rôle essentiel dans son développement , lui permettant d’acquérir une bonne perception de son corps et de l’espace et de manipuler des objets.
Selon Emmanuelle Renaud Thomas, « la latéralité chez l’enfant influence directement sa connaissance spatiale. S’il a un trouble de la latéralité, il aura souvent du mal à différencier sa droite et sa gauche. Il aura aussi des soucis de motricité. »
Hélène Bordron-Sauvêtre, également psychomotricienne, souligne, elle, que l’enjeu est également symbolique : être gaucher ou droitier est une question d’identité au sein de notre société. « Statistiquement, il y a plus de droitiers que de gauchers, donc l’impression d’être ‘dans le moule’ pour certains droitiers, et l’inverse pour certains gauchers existe, précise la psychomotricienne. Il est arrivé plusieurs fois que des enfants qui viennent me voir me disent en se présentant ‘je suis gaucher’, en même temps que leur âge, leur hobby, etc., comme si ça les définissait, soit de façon positive, soit de façon négative. »
Une temporalité différente pour chacun
Le processus de latéralisation débute vers deux mois, dès que le nourrisson commence à attraper des objets. Une étude irlandaise va jusqu’à avancer qu’une préférence serait déjà perceptible in utero, notamment en observant le pouce que le fœtus suce.
A partir de quatre/cinq mois, l’enfant utilise ses deux mains. C’est le premier signe de coordination. Vers sept/huit mois, il passe les objets d’une main à l’autre et se rend peu à peu compte qu’il en a deux. Puis vers un an et demi, il commence à mettre en place la coopération bi-manuelle : une main soutient, l’autre agit.
Chez certains enfants la latéralisation s’opère très vite. Chez d’autres, le processus sera beaucoup plus lent. De manière générale, la latéralisation définitive arrive vers sept ans. Au-delà on peut commencer à s’interroger.
L’apprentissage de l’écriture
Les troubles de la latéralité peuvent parfois avoir des répercussions sur la scolarité de l’enfant ou sur son développement psychomoteur. Les institutrices sont aujourd’hui alertées sur ces questions et remarquent bien souvent quand un élève accumule du retard, notamment dans son apprentissage de l’écriture.
Pour autant, Emmanuelle Renaud Thomas insiste sur l’importance de laisser le temps à l’enfant de « choisir son camp ». « A l’école, on entre dans la calligraphie très tôt, souvent dès la moyenne section de maternelle. A cet âge-là, il serait plus judicieux de rester concentré sur la manipulation d’objets.
Écrire demande une certaine maturité psychologique et nécessite d’avoir une main dominante, alors que la peinture par exemple n’exige pas une telle dextérité. « Aujourd’hui, on aime que les enfants sachent faire les choses vite et si possible en même temps que les autres », complète la psychomotricienne.
« On lui demande de passer à la vitesse supérieure »
Hélène Bordron-Sauvêtre confirme: « Savoir écrire revient à entrer dans le monde des adultes. Il y a donc une forte pression psychologique concernant cet apprentissage », se désole la psychomotricienne. « Un enfant qui a des problèmes de latéralité sera souvent un enfant tendu. Dans ce cas, il peut être intéressant de lui faire faire des exercices de relaxation », suggère-t-elle.
A sept ans, Eliott est un petit garçon qui a du mal à choisir sa main dominante. « Le CP a été très difficile pour lui », confirme sa maman, Laëtitia, graphiste de 29 ans. « Son écriture est trop brouillonne. Il a du mal à tenir correctement son stylo, il est lent et change parfois de main malgré une dominance à droite. Je pensais qu’il s’améliorerait avec le temps mais ce n’est pas le cas. Maintenant qu’Eliott est en CE1, on lui demande de passer à la vitesse supérieure. Il vient de commencer les séances chez le psychomotricien. J’espère que les progrès vont vite se faire sentir », confie Laëtitia.
Une difficulté à choisir
Vous vous demandez si votre enfant est mal latéralisé ? Pour le savoir, observez avant tout sa façon d’être. C’est peut-être le cas s’il bouge beaucoup, n’est pas bien ancré, qu’il a du mal à trouver ses appuis et a souvent besoin d’agripper quelque chose pour se stabiliser. Il va par exemple constamment changer de main pour se brosser les dents ou découper à l’aide de ciseaux.
C’est aux parents et à l’institutrice d’observer ces signes. Dans de nombreux cas, il ne s’agira que d’une difficulté à choisir mais il peut malgré tout être intéressant de faire un bilan auprès d’un(e) psychomotricien(ne).
Un frein au développement psychomoteur
Pour éviter au maximum un trouble de la latéralité, il est recommandé de stimuler l’enfant dès le plus jeune âge. Pâte à modeler, Lego, peinture et autres dessins sont autant d’outils pour l’aider à construire sa motricité. « Plus il fera d’expériences, plus il sera libre dans son choix de main dominante », martèle Emmanuelle Renaud Thomas.
Les écrans représentent au contraire un frein au développement psychomoteur des plus jeunes. « Je vois souvent des parents fiers de me montrer que leur enfant est doué pour pianoter sur une tablette ou un téléphone », développe Emmanuelle Renaud Thomas. « Ces derniers n’apportent absolument rien au niveau du développement moteur de l’enfant. Avant trois ans, je les déconseille vivement. Être dans l’action permet de stimuler l’intelligence et la conscience de l’espace chez l’enfant », conclut-elle.
Par Valérie Gautier, publié le 13/07/2016 dans L’Express